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[SANTÉ] Covid et état mental des jeunes, quel impact ?
La pandémie, les confinements et les mesures sanitaires ont changé le cours de nos vies depuis maintenant plus de deux ans. Chez les jeunes et les étudiant·e·s, le poids de la crise a entraîné une détérioration de la santé mentale. Entretien avec Emmanuel Malphettes, psychiatre au CHU de Nantes.
Interview avec Emmanuel Malphettes, psychiatre au CHU de Nantes
La santé mentale chez les jeunes

Le trouble dépressif accentué avec la crise sanitaire

La proportion de jeunes reçu·e·s en psychiatrie a nettement augmenté depuis le début de la pandémie. Selon Emmanuel Malphettes, psychiatre au CHU de Nantes, ce constat est indiscutable. D'après le rapport annuel sur les droits de l'enfant publié le 20 novembre 2021, le confinement a conduit à un doublement des syndromes dépressifs chez les 15-24 ans (10% présentaient un syndrome dépressif en 2019 contre plus de 20% en 2020). Les troubles d'anxiété sont eux aussi à la hausse.

Des problématiques majeures : La solitude et la maltraitance

Il y a, selon Emmanuel Malphettes, deux maux principaux chez les personnes venant généralement en consultation. La solitude et la maltraitance. Deux problématiques qui se sont exacerbées et cristallisées avec le Covid et son lot de confinement successifs. Pour beaucoup de jeunes, l'eldorado de la vie étudiante n'a été qu'une désillusion. A 18 ans, on s'attend à une nouvelle vie, à des rencontres et à faire la fête. Mais avec les mesures sanitaires et les interdictions de rassemblements, impossible de sympathiser dans un café ou de se réunir à la fac.

Quand on ne connait personne dans une ville et qu'on est condamné·e à rester dans un 9m2, c'est normal de se sentir seul
—Emmanuel Malphettes

Pour certain·e·s jeunes qui quittent un environnement familial instable et qui espèrent une nouvelle vie, le sentiment de solitude et de mal-être est d'autant plus fort. Difficile de nouer de nouvelles amitiés et impossible de revenir dans sa famille, "ces jeunes-là ne pourront pas se retourner vers leurs ressources relationnelles". Ces situations entraînent parfois des cas de dépendance, des risques de suicide et un repli sur soi-même.

Ils étaient dans l'enfer de la maltraitance et sont tombés dans l'enfer de la solitude
—Emmanuel Malphettes

" Est-ce que c'est le poisson qui est malade ou est-ce que c'est l'eau du bocal qui est sale ?"

Une question se pose cependant. Toustes ces jeunes chez qui la santé mentale se détériore sont-iels malades, ou ont-iels simplement des réactions normales face à une situation anormale ? La métaphore du poisson malade semble illustrer la complexité de la situation.

Être mal dans certaines atmosphères est naturel et ne relève pas forcément de la psychiatrie
—Emmanuel Malphettes

Quand on est jeune, avide de rencontre et impatient·e à l'idée de vivre sa vie d'étudiant·e, il n'est pas étonnant de ressentir de la tristesse et d'être déprimé·e face à la réalité d'un monde qui a changé.

La situation est désagréable et c'est OK de ressentir et d'accepter que cela soit désagréable
—Emmanuel Malphettes

Apprendre à retrouver du sens malgré le Covid

Pour accompagner les jeunes en détresse, plusieurs solutions sont proposées par les psychiatres.

On travaille sur les relations et sur l'idée de se sentir plus libre dans les relations
—Emmanuel Malphettes

Souvent affecté·e·s par la solitude ou de la maltraitance, iels ont besoin de reconstruire des relations saines, où iels peuvent se sentir libres. Selon Emmanuel Malphettes, il faut aussi retrouver du sens dans un quotidien sous Covid, accepter cette situation et "apprendre à faire avec la vie telle qu'elle est ".

Il y a cependant des cas de dépression ou d'anxiété pour lesquels des traitements sont envisagés et prescrits. Certain·e·s jeunes sont parfois "ralenti·e·s"et ont des difficultés à se mobiliser. Dans ce cas là, des antidépresseurs sont parfois prescrits "mais ce n'est pas une solution, c'est un moyen pour essayer de booster petit à petit et de trouver des ressources" précise Emmanuel Malphettes. Pour d'autres individus, le problème va être un débordement des sensations. En essayant de lutter contre la tristesse, la solitude ou encore la colère, les émotions finissent par prendre toute la place, envahir l'esprit et le corps.

Pour vivre, on a besoin d'avoir un corps qui soit à peu près tranquille. Face à un corps qui déborde, prescrire des calmants est parfois envisagé. Mais il ne faut pas non plus un corps complètement anesthésié.
—Emmanuel Malphettes, psychiatre au CHU de Nantes.

La santé mentale de moins en moins taboue

La pandémie aura au moins permis une chose : participer à lever un certain tabou sur la santé mentale. Peu à peu, l'importance et la fragilité de la santé mentale sont devenues dicibles. Alors qu'elles avaient tendance à être refoulées, dans la vie professionnelle et personnelle, elles sont désormais prises en compte. Aller consulter un·e psychologue ou un·e psychiatre pour aborder ce sujet n'est pas honteux et est considéré avec sérieux.


Une interview réalisée par Vincent Leforestier

Un article rédigé par Lou Ecalle

Photo de Une : Man with backpack. Crédit : The Unsplash License

Publié le
Un article réalisé par : Rédac' Prun'
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