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L’exposition "Un monde à guérir" au LU interroge notre regard sur la photographie humanitaire
L’exposition photographique "Un monde à guérir" a ouvert ses portes au Lieu Unique à Nantes il y a quelques semaines. Tour à tour fresque rétrospective et patchwork réflexif, l'exposition proposée par le Musée international de la Croix-Rouge interroge les codes de représentations à l'œuvre dans l’image humanitaire et nous invite à décoder le hors-champ derrière le symbole.

Mobiliser. Montrer. Témoigner. Réévaluer. Diffuser. C’est avec ces mots que l’on rentre dans l’immense salle d’exposition du Lieu Unique.

Rassemblant plus de 600 images et photographies d’archives de 1850 à nos jours, l’exposition a été inaugurée l’année dernière au Musée international de la Croix Rouge de Genève ainsi qu’aux Rencontres de la photographie d’Arles.

Maud LEVAVASSEUR, 2023 © LU / Croix-Rouge / 

Un monde à guérir rassemble des images de sources diverses : des clichés de photographes célèbres (un carré de l'exposition est dédié aux grands noms de l’agence Magnum), des images personnelles de collaborateurs de la Croix-Rouge ou encore de témoins directement impactés par ces crises humanitaires. 

“Pendant l'accrochage mi-octobre, le thème de l'exposition a malheureusement résonné avec l'actualité brûlante”
—Pascal Hufschmid

“Souvent, les images de conflit nous sautent à la figure par la force de ce qu’elle représentent” introduit Pascal Hufschmid, co-commissaire de l’exposition et directeur du Musée international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge au cours de la visite guidée d'inauguration, ce jeudi 26 octobre. Instituante et performative, la photographie humanitaire nous apparaît la plupart du temps immédiate et univoque, comme la réaction qu’elle cherche à susciter. 

J. M. Gourstikker, Arrivée de boat people, Malaisie, 1979, © FICR

Or, la réalité du terrain est toujours plus complexe que sa représentation.  

“Pendant l'accrochage mi-octobre, le thème de l'exposition a malheureusement résonné avec l'actualité brûlante” partage Pascal Hufschmid. Aujourd’hui particulièrement, la diffusion quasi instantanée d’images de faits de guerre, ces images choc qui tournent en boucle, posent question. Observer une image humanitaire est devenue une expérience quotidienne et familière. 

La Croix-Rouge produit et conserve des clichés depuis sa création en 1863. Pourtant, 160 ans plus tard, la photographie humanitaire est un patrimoine visuel qui reste peu exploré.

Anonyme, 1933, Archives CICR (DR)

Côté scénographie, le cadre est sobre : un grand espace épuré qui laisse la place à la puissance des images, à l’émotion. Parmi les nuances de gris et le patchwork de noir et blanc, le rouge de la célèbre croix attire l’œil. Elle s'affiche en grand ou en minuscule selon le support présenté (images numériques, tirages, diapositives, affiches, cartes postales).

Le public est laissé libre dans le choix de sa déambulation, chronologique ou plutôt graphique. On peut décider de s’approcher de très près, s’attarder sur un détail.Et parfois la masse peut apparaître vertigineuse; on préfère alors s’en éloigner pour mieux prendre du recul

Une iconographie de la souffrance

Quelle est donc cette iconographie de la souffrance produite par cette communication institutionnelle, celle de l’urgence? C’est cette question que se sont posés Pascal Hufschmid et Nathalie Herschdorfer. Les deux commissaires de l’exposition ont parcouru plus d’un million de photographies : “un océan d’images”, fruit de deux années de recherches menées au sein des collections internationales de la Croix Rouge et du Croissant-Rouge.

Pour Pascal Hufschmid l’image humanitaire est “codifiée à l’extrême”Il y a d’abord la représentation de ces moments forts : la découverte des dégâts, la rencontre, le soin, le repos. Puis, des motifs : un bras qui soutient, une main qui se tend. Enfin, de grandes figures et rôles stéréotypés émergent : la victime, anonyme et noyée dans un groupe, souvent montrée en attente (de soin, de vivres), l’infirmière (réduite à sa fonction), l’enfant seul. 

Anonyme, Rapatriement de prisonniers de guerre égyptiens lors de la guerre civile au Yémen, sous les auspices du CICR, 1965 © CICR

Ces images institutionnelles, s'adressant principalement au monde occidental sont composées pour chercher une réaction vive et immédiate.  Avec une relecture contemporaine et critique, ces images interrogent ou créent même le malaise (figure héroïque de l’humanitaire face au corps noir en souffrance, dialectique du dominant-dominé).

Mais alors, y a-t-il une bonne manière de photographier la souffrance? Pour Pascal Hufschmid notre regard et celui du photographe n'est jamais neutre : “c’est une vision forcément fragmentaire de la vie des gens, on ne pourra jamais, dans une image, réduire la complexité d’une réalité humanitaire.”

Lesbos, camp de réfugiés de Moria. Stylianos Papardelas, Grèce, 2019 © CICR

En effet, si une personne peut être, temporairement, victime; la photographie, elle, la fige pour toujours dans ce rôle. Son essentialisation, bien que nécessaire - de nombreuses images humanitaires ayant fait le tour du monde et des médias ont réussi à faire basculer l’opinion publique et la communauté internationale sur un conflit - n’en reste pas moins problématique. 

Prendre un pas de côté

C’est pourquoi le Musée international de la Croix-Rouge dédie plusieurs sections de l'exposition à des clichés pris par des personnes directement affecté.es par les crises.  

En 2017, l’organisation humanitaire donne des appareils photos jetables à des habitant.e.s du Nigeria recevant de l’aide humanitaire. Ils photographient leur quotidien, les moments de repas, d’échange ou d’organisation au sein du camp. Ici, loin des poses officielles, s'esquissent même quelques sourires. En s'appropriant la représentation picturale de ce qu’ils vivent, ils créent une documentation personnelle et décident de l'objet photographié, s'éloignant des codes visuels de la communication institutionnelle, et de ce qu'on s'attend à voir.

Gabriel Ndukwe, Prison Waterfront, Port Harcourt, Nigeria, 2017 © CICR

Un autre projet : celui du photographe français Alexis Cordesse qui a collecté et rassemblé pendant 3 ans en France, en Allemagne et en Turquie les photographies personnelles d’hommes et femmes ayant fui la Syrie. Ces images sont issues de leur smartphones, de leurs bagages et forment un pan plus coloré : des sourires, des étreintes, des intérieurs. Ce dernier tableau contraste : il témoigne de célébrations, de naissances, de voyages. Pour l’accompagner, des témoignages audio récoltés, traduits et lus en français par le photographe. Des moments heureux d’une vie qui n’existe plus, qu’ils ont perdu, mais d’une vie qui a coexisté avec les images de ce qu’on croit connaître de la réalité de ces femmes et de ces hommes, comme celles archivées par la Croix-Rouge.

En proposant de redécouvrir un patrimoine photographique humanitaire dans une perspective critique, Un monde à guérir donne la place au hors-champ, à sa complexité, pour renverser le vieil adage jugeant qu’une image vaut mille mots.

Exposition en accès libre au Lieu Unique à Nantes, du mardi au dimanche jusqu’au 7 janvier 2024. Une visite commentée de l'exposition en Langue des Signes Française sera proposée le 16 décembre à 14h30.

Publié le
Un article réalisé par : Camille Principiano
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