Une baleine dans le ciel. À 8km au sud de Chateaubriand, la Maison Autonome s’annonce par son éolienne particulière, que l’on aperçoit depuis la route.
Au milieu des champs de monoculture et des quelques habitations, on entre dans l’un des oasis du réseau Pierre Rabhi, modèle d’un mode de vie durable.
C’est Patrick Baronnet, propriétaire du lieu, qui me reçoit en cet après-midi d’hiver gracié par le soleil.
Dans le petit jardin où chantent les oiseaux (« c’est le premier truc dont parlent les gens quand ils arrivent ici » souffle Patrick Baronnet ; je ne ferai pas exception), commence la visite.
Le jardin face à nous est parsemé de plants. À gauche, une serre où poussent « assez de salades pour en manger une par jour ces temps-ci. »
Un chat roux et blanc s’avance nonchalamment vers la mare, creusée dans la terre «pour équilibrer l’écosystème. »
De drôles de vérandas font office de façade : elles isolent la maison. Un degré au dehors, vingt-cinq derrière les vitres, thermomètre à l’appui. Ici aussi, ça pousse : des salades, de la roquette, du chou mizuna. On imagine le couple Baronnet, au chaud dans cette cage de verre, assis sur le « banc thermique », l’un des trésors d’ingéniosité du lieu.
« On a été pris pour des fous, les gens ne comprenaient pas ce qu’on voulait faire »
C’est en mai 68 que nait le couple Baronnet, alors que la foule veut changer le monde, Patrick et Brigitte sont de la vague du « retour à la Terre » :ils décident de créer celui dont ils rêvent.
Le projet mûrit, Patrick a 25 ans lorsqu’il arrive dans la maison, 46 lorsque celle-ci est totalement autonome.
On n'a aucun manque de confort
Chauffage central, machine à laver, toilettes (sèches, bien entendu!), pourtant cela fait 43 ans que le couple n’a pas vu une facture d’eau, 23 pour celles d’EDF. « On a vécu à six sur un salaire de moins d’un SMIC », se rappelle Patrick Baronnet.
Autonomie, mais pas autarcie
« C’est une gestion progressive, on a une porosité avec le monde » explique-t-il, « on va pas dire qu’on fait tout nous-mêmes, on fait beaucoup par nous-mêmes. » Il ajoute qu’il croit en un développement de ces micro-communautés, de réseaux à plus petite échelle : « notre bois c’est un copain, j’ai des amis garagistes… Il y a un tissu, quelque chose qui préfigure l’avenir, et en ce sens là on fait de la politique. »
En fait, on n'est pas ‘anti’ quelque chose, on est ‘pour’ quelque chose
Ce modèle, c’est celui que le couple a travaillé et abouti, et les deux anciens de l’Éducation Nationale n’ont pas perdu leur vocation de transmission : stages, formations, rencontres, « il y a toujours du monde ici, » s’exclame l’heureux propriétaire de la Maison.
À l’arrière de la bâtisse, aux cotés du jardin-mandala et des arbres fruitiers naissants, un terrain-parking et deux autres bâtiments éco-construits pour recevoir les visiteur·euse·s : le « Zome » (sur lequel l’eau de pluie ruisselle pour être portée jusqu’aux citernes et stockée), et la «Maison 3E» (Économique, Écologique, Entraide).
Ici, la pandémie n’a « rien » changé, constate Patrick Baronnet. « La seule chose qui change, c’est quand on arrive en ville, » ajoute-t-il, rieur.
L’oasis semble inaltérable.
Patrick Baronnet note cependant une mouvance générale qui s’accélère : « là, il y a un mouvement de reconnaissance de nos limites ; et après je souhaite qu’il y ait ce qu’il se passe ici, c’est à dire un mouvement créatif. »
« Nous, on fait de l’écologie de terrain »
Patrick ne croit pas en l’écologie politique, qu’il qualifie d’ « exploitation politique de l’écologie, » une critique qui raisonne avec les insatisfactions grimpantes des citoyen·ne·s sur le manque d’action politique, par exemple récemment autour du projet de loi inspiré par la Convention Citoyenne pour le Climat, qui a revu à la baisse les ambitions de la convention. « Nous, on fait de l’écologie de terrain, » conclut-il.
Cependant, il a confiance en ces citoyen·ne·s qui s’éveillent, se questionnent et veulent agir.
Après l’exode rural des Trente Glorieuses, il projette aujourd’hui un exode urbain progressif, possible seulement si les territoires ruraux mutent et se libèrent de l’hégémonie de la monoculture.
Comme en mai 68, la crise mondiale pose à nouveau la question d’un mouvement conséquent de retour à la Terre : le ras-le-bol urbain et la quête de sens dessinent un nouvel horizon. Les recherches immobilières en dehors des centres-villes connaissent une forte hausse.
Restructurer les liens villes-campagnes
Des appels à repenser la ruralité sont lancés par les collectifs de protection de la biodiversité comme dans la
. « Moins de biens, plus de liens ! » y lit-on, un slogan en accord avec les valeurs du couple Baronnet.
Patrick est en tout cas « assez optimiste » et les chiffres témoignent d’une mutation significative.
Dès octobre 2018,
. En 2019, l'institut constate que
Une étude publiée en novembre 2020 par le Think Tank La Fabrique de la cité affirme qu'avec la crise sanitaire et la généralisation du télétravail, 31 % des habitant·e·s des grandes villes songent à déménager pour des villes moyennes. Ce sont ces villes « à taille humaine » (de 10 000 à 100 000 habitants), espaces charnières aux premières loges de cet exode urbain, la première étape d’un rééquilibrage territorial.
a posé la question des perspectives d’avenir, et 56% des sondés déclarent qu’ils aimeraient vivre à la campagne, en zone rurale. En comparaison, ils sont 19% à affirmer vouloir vivre dans le centre d’une grande ville.
La
souligne alors le besoin d’un projet politique, de politiques d’accueil pour restructurer les liens villes-campagnes.
Aujourd'hui, 31% des installations agricoles sont "hors cadre familial", c'est à dire que ces néo-paysans ne sont pas issus du milieu agricole.
Ce mouvement croise le besoin de succession des agriculteur·trice·s conventionnel·le·s, alors que
au profit d'exploitations agro-industrielles. La perspective s’aligne aussi avec les objectifs de la Politique Agricole Commune (PAC 2021-2027 : protection de l’environnement, renfort du tissu socio-économique, modernisation) qui prévoit par exemple d'aider les néo-paysans.
Restructuration du lien villes-campagnes et valorisation des projets ruraux, voilà un horizon possible pour l’ « après. »