19h55. Le temps presse. Sur le plateau, les interviews s’enchaînent, débordent sur le planning prévu, et nous voilà à devoir faire faux bond pour la fin de l’émission, car nous devons retrouver Enchantée Julia à sa sortie de scène. Ce que nous n’avions pas prévu, c’est le que le "Festival des 3 éléphants" n’a rien de petit en effet : nous nous perdons entre les scènes, avançons trop loin, revenons en arrière, rencontrons quelques difficultés dans notre parcours, mais voilà, enfin, nous sommes dans l’espace presse, installé pour l’occasion dans le « Club du Jardin », au milieu d’une cour à la française entre haies et fontaines.
C’est vrai que « néo-soul », le terme, l’identification, en France elle est pas hyper bien comprise, ou elle est un peu nichée
Enchanté Julia est là, le visage brillant des sorties de scène, vêtue de son imper rouge et de ses bottes assorties. Hasard ou non, aimant associer des couleurs à la musique, j’avais prévu une question autour de la couleur rouge, puisque c’est une couleur omniprésente dans son art, que ce soit dans le clip de « Plus Fort que Moi », les « Sièges Rouges » dans « Cinéma » … Voici ce qu’elle me répond : « J’aime bien le rouge, c’est la vie, c’est le sang, c’est ce qui coule dans nos veines donc pour moi le rouge c’est une couleur forte, qui s’affirme, qui se voit ! »
Le bruit ambiant est fort, le sol vibre au rythme des basses car les balances ont déjà commencé pour Winnterzuko, mais nous tâchons de nous mettre dans une petite bulle, casque sur les oreilles, pour une discussion en toute intimité, autour de sa vision de la musique, et de son processus créatif.
Enchantée Julia, c’est une chanteuse de néo-soul telle qu’elle est décrite dans les médias, mais comme elle le dit, ce n’est pas un terme qui parle à tout le monde : « C’est vrai que "néo-soul", le terme, l’identification en France elle est pas hyper bien comprise, ou elle est un peu nichée (…) quand je dis que je fais de la néo-soul, certaines personnes ne comprennent pas, y compris certains médias ou un certain public, donc j’aime bien dire que c’est de la chanson « R&Bisante », avec de la soul et c’est en français, je sais pas si on peut dire ça, de la chanson qui groove ! »
J’ai fait pas mal de featurings avec des rappeurs, parce que j’aime le rap, énormément, c’est une grande source d’inspiration pour moi aussi, ça m’a beaucoup aidé à écrire.
En France pourtant, de la « chanson qui groove », il y en a, et Enchanté Julia lui prédit un grand avenir, comme pour le rap par exemple, qui s’est bien installé dans nos playlists depuis presque trente ans. Elle nous parle de ce monde de la néo-soul qui ne demande qu’à éclore : « Il y a une scène [de la néo-soul, ndlr], qui est hyper émergente, et qui existe vraiment et qui va, je pense, exploser, je l’espère (…) il y a peut-être un âge d’or du R&B qui va revenir, et qui va vraiment s’affirmer et qui va perdurer parce que le rap ça fait trente ans que c’est là, ça n’a pas bougé, ça a toujours perduré. Est-ce que cette musique-là elle va enfin exister en France, je pense que oui ! »
En parlant de rap, Enchantée Julia collectionne les featurings avec des rappeurs, comme Luidji, Prince Waly, Tengo John. Elle a en effet un lien très particulier avec le rap, qui l’a accompagnée durant son enfance : « j’ai fait pas mal de featurings avec des rappeurs, parce que j’aime le rap, énormément, c’est une grande source d’inspiration pour moi aussi, ça m’a beaucoup aidé à écrire aussi, le rap, vraiment tout l’âge d’or du rap français je l’ai écouté quand j’étais petite. »
Je pense que pour incarner ses chansons il faut les écrire, et pour donner toute son âme aussi, ça va avec la musique
Le rap l’a notamment aidé dans l’écriture, un sujet « touchy » pour elle comme elle nous l’explique, car pendant longtemps, elle pensait ne pas réussir à « jouer avec les mots », à faire de la poésie à l’instar de ses modèles qu’elle nous cite, « Claude Nougaro, Henri Salvador Mathieu Chedid, Gainsbourg » par exemple: « longtemps, je me suis un peu brimée, je trouvais que j’écrivais mal, donc je coécrivais beaucoup (…) et donc il m’a fallu beaucoup de temps, et vraiment faire un grand chemin pour me faire confiance sur l’écriture. »
Pourtant, écrire ses propres chansons était primordial pour elle, il s’agit de transmettre ses émotions, son histoire, à travers ses mots : « C’est très important [d’écrire ses textes, ndlr] parce que vraiment c’est hyper intime, et je pense que pour incarner ses chansons, il faut les écrire, et pour donner toute son âme aussi, ça va avec la musique. » Aujourd’hui, elle explique qu’il est « rare qu’elle passe du temps sur le texte, « soit ça vient, soit ça vient pas ». En réalité, c’est vraiment quelque chose qui lui tombe dessus, une « inspiration » nous dit-elle, « quelque chose qui vient du ciel ».
En revanche, dans son processus créatif, la musique est souvent la première pierre à l’édifice, avant les paroles : « Mes chansons elles partent toujours d’accords de guitare ou de piano, elles partent toujours d’une idée musicale (…) c’est rare que le texte vienne d’abord, c’est en générale d’abord la musique. »
Moi ce qui me porte c’est l’amour, c’est l’amour des gens, c’est le partage.
Cette musique qui est au coeur de sa vie, qui « rythme sa vie », qui est même « toute sa vie », lui a permis de faire des rencontres à la fois artistiques et humaines. En effet, avec de nombreuses collaborations au compteur, et pas qu’avec des rappeurs, je trouvais intéressant de lui demander comment cela se faisait, se ressentait : « À la base c’est plutôt des coups de cœur artistiques, ce sont des gens qui me parlent vraiment musicalement, où je me sens vraiment en osmose avec ces personnes-là (…) ça a été le cas avec Oscar [Emch, ndlr] avec qui je travaille beaucoup sur la production, parce qu’on a les mêmes influences, et puis on aime les mêmes choses, du coup on se comprend, c’est facile quoi, c’est fluide. »
Collaborer avec des artistes, cela rejoint ses valeurs de partage, que l’on retrouve dans le lead single de son EP (et pas album, écoutez l’interview pour le comprendre !) « Longo Maï ». Le titre, qui est un hommage à ses origines provençales, lui sert à créer une ode aux sentiments dans un des lead singles, car il n’y a « rien de plus précieux dans ce monde », pour reprendre ses paroles: « « Longo Maï », ça veut dire « longue vie », « pourvu que ça dure » (…) c’est du provençal, et je suis de là-bas, et j’avais envie de faire un clin d’œil à mes origines provençales, et je trouvais que c’était très joli comme vœu, comme souhait, comme expression, et même au niveau de la sonorité, de Longo Maï, je trouve ça très beau. » Elle nous dit aussi : « moi ce qui me porte c’est l’amour, c’est l’amour des gens, c’est le partage, pour moi le partage c’est ce qu’il y a de plus important, et les sentiments et l’amour c’est ce qu’il y a de plus important. »
Je crois que j’ai toujours été une artiste même enfant tu vois, je dessinais plutôt que faire mes devoirs, je chantais, je faisais des pièces de théâtre, j’étais attirée par toutes les formes d’art.
En parlant de partage, sa dernière sortie, le 12 avril dernier, est un featuring avec Astronne, son premier avec une femme. « J’apaise », qui compte aujourd’hui 35 212 écoutes sur Spotify, est en réalité chanson ressortie des tiroirs après deux ans : « "J’apaise", en fait c’est une chanson qui existe depuis deux ans, on l’avait jamais sortie pour plein de raisons, mais c’est vraiment une belle histoire avec Astronne, on s’est rencontrées y a environ trois ans, et puis on avait envie de partager une chanson. (…) "J’apaise" c’est vraiment une berceuse, c’est la grande sœur qui parle à sa petite sœur (…) c’est une chanson réconfortante. »
Pour finir, j’aime demander aux artistes quel a été leur chemin vers la musique, et surtout, si c’était une évidence pour elleux. Enchantée Julia me révèle alors qu’elle est une artiste depuis toute petite : « Je crois que j’ai toujours été une artiste même enfant tu vois, je dessinais plutôt que faire mes devoirs, je chantais, je faisais des pièces de théâtre, j’étais attirée par toutes les formes d’art aussi, et pas par ce qu’était théorique, en fait, voilà, donc je pense que j’ai ce truc là en moi depuis toujours. »
Nous lui souhaitons alors que cet art qui l’anime « dure longtemps » (« Longo Maï »), que l’âge d’or du RnB vienne, et nous la remercions pour ce moment en toute intimité, capté quelque part dans le jardin européen du centre-ville de Laval.
Article et interview réalisés par Clara Lelièvre