L'humusation, c'est quoi ? C'est un processus contrôlé qui permet de transformer les dépouilles en un humus - autrement dit, d'humifier -, qui servira à fertiliser les sols. Plus simplement, c'est le compostage humain.
Il existe deux techniques d'humusation. La première est catégorisée low tech, et se rapproche plus de la décomposition naturelle des corps. On place le corps en terre, dans un cocon biodégradable contenant des matières végétales, des micro-organismes et autres éléments favorisant la transformation. Au bout d'un certain temps, la sépulture est retournée pour oxygéner le compostage. Le corps prend neuf mois à une année pour s'humifier. Il servira à nourrir des forêts mémorielles, ou il sera récupéré par les proches pour leurs propres terrains.
Le second type d'humusation est plus high tech, plus rapide mais plus coûteux. Le corps est recouvert de végétaux puis placé dans un réceptacle métallique. Il faut environ deux mois pour que la famille du défunt puisse récupérer un peu plus d'un mètre cube de terreau. Sinon, l'humus est donné à une réserve naturelle protégée. C'est ce que propose la start-up américaine Recompose, basée à Seattle. Ses services s'élèvent à 7000 dollars.
Une idée qui prend du temps à mûrir
Cette pratique se pose en alternative aux deux uniques options de funérailles autorisées en France : l'inhumation et la crémation. Ces moyens traditionnels ne suffisent plus, à l'heure où la population remet en question les conséquences de ses comportements sur l'environnement. Ces rites funéraires polluent les sols et émettent des gaz à effet de serre, mais posent également un problème d'agencement urbain aux collectivités. Ces défauts sont couplés à un désir croissant de connexion à la nature en s'intégrant dans le cycle de la vie, ou encore à un désintérêt pour l'enterrement et l'incinération.
Pour l'instant, l'humusation est légale dans six états américains. En France, l'association nantaise Humo Sapiens milite pour qu'une législation encadre la pratique. Elle s'engage pour informer sur cette alternative, mais aussi pour mener des études sur ses bienfaits. Pierre Berneur déplore ce qu'il considère comme une lenteur du gouvernement pour débattre sur ce sujet.
On sentait que le gouvernement bottait en touche. Mais ça a pas mal bougé en début d'année : la députée Modem d'Isère Elodie Jacquier-Laforge a déposé une proposition de loi pour expérimenter l'humusation.
Un projet de loi déposé le 31 janvier 2023, pile un mois après l'autorisation de l'humusation par l'État de New York. Des adeptes se mobilisent pour sa légalisation dans quelques pays, comme en Belgique, mais la pratique se heurte à des résistances d'un côté religieux et culturel.
Le récit de société actuel qui place l'humain au dessus de tout ne donne plus de sens à la mort. On pense que l'humusation inverse les choses : l'humain intègre quelque chose de plus grand que lui, qui contribue à son épanouissement et celui de l'écosystème.
L'humusation est aussi débattue d'un point de vue scientifique. Les spécialistes se questionnent sur le caractère écologique de la démarche, et si la matière décomposée n'est pas chargée en éléments nocifs à l'environnement. En 2020, une étude de l'Université catholique de Louvain avait annoncé "l'enterrement" de la pratique en sortant une étude sur son efficacité. Elle s'est faite avec des carcasses de porcs, et le compostage n'avait pas réussi. L'université a donc qualifié l'humusation de fausse bonne idée. Ces arguments ont été réfutés par la fondation wallone Métamorphose, qui enjoignait à continuer les recherches pour déterminer légalement les conditions favorables permettant de réussir un processus de compostage des corps, et d'assurer le développement de l'humusation.
Interview de Pierre Berneur, co-fondateur de l'association Humo Sapiens, enregistrée pour l'émission Curiocité du lundi 29 mai 2023. Il explique le principe d'humusation, ce qui l'a amené à y adhérer, et le champ d'action de son association. Merci à lui d'être venu.
Article et interview réalisés par Emmanuelle Miroux.