Le collectif Collages Féministes Nantes reprend la rue en alignant les lettres capitales qui forment des slogans militants partout dans la ville.
Les murs ont la parole
La formule est héritée de mai 1968. A l’heure du plus grand mouvement social français du 20e siècle, qui se soulève contre le capitalisme, le consumérisme et les institutions traditionnelles, les vagues de manifestant·e·s qui prennent les rues laissent dans leur sillon les mots de leur luttes : slogans tagués sur le béton public.
L'un des messages des révoltes soixante-huitardes : Murs blancs, peuple muet.
Nous sommes en 2021, le peuple n’a pas perdu sa langue ; les murs des villes ne sont pas nus, ils ne se sont pas tus. Ils se parent de dessins et de mots qui, comme alors, racontent l’époque, ses idéaux et surtout ses luttes, ses combats.
On pense aux tags, aux graffitis, et il existe aussi une forme nouvelle d’investissement du territoire urbain, plus politique qu’artistique : la bombe de peinture devient papier-pinceau.
Nantes, arrêt Beauséjour : des lettres en rouge et noir
En descendant du tramway, les lettres capitales peintes sur des feuilles A4 trônent sous le grand préau. En rouge et noir, elles invectivent :
ou encore "PARTIARCACA"
Pas de signature, militantisme anonyme. « C’est obligatoirement un acte politique » affirment Lou et Léa, qui collent depuis plusieurs mois au sein du collectif des Colleu·x·se·s Nantais·es. Le collage urbain est « libérateur » pour Léa, « parce qu’on met sur les murs toute la colère, la tristesse, la peur qu’on emmagasine. »
« Mais on le fait surtout pour les autres » souligne Lou, « on sait qu’ielles vont le voir, le lire. » Coller dans la rue, c'est alors mettre les slogans sous les yeux de tou·te·s, ne leur laissant pas le choix que de se confronter aux messages militants, parce que la rue est à tout le monde, précisément.
Le collage, c'est quoi ?
Le collage urbain, c’est partir avec la colle la brosse et le sac à dos, pour aligner sur les murs les lettres rouges et noires qui forment les slogans, en majuscule. Ils fustigent tous types d’oppressions : sexisme, grossophobie, transphobie… La convergence des luttes guide les actions du collectif : « Même lorsqu’on n’est pas concerné·e·s, on soutient les adelphes », affirme Lou.
L’adelphité, c’est un terme qu’utilisent beaucoup les colleu·x·se·s. On parle de fraternité, puis de plus en plus de sororité avec les mouvements féministes : l’adelphité, c’est le mot inclusif qui porte l’idée de cette solidarité, mais débarrassée des distinctions de genre ou de sexe. Le mot est là tant pour unifier les voix que pour visibiliser celleux qui ne se reconnaissent ni dans la sororité ni dans la fraternité.
« Reprendre la rue », voilà un slogan incontournable des manifestations féministes. L’espace se fait alors miroir des inégalités et oppressions. « C’est important de réfléchir le collage en terme d’espace » explique Léa, « parce qu’on est pollué·e·s par la pub, et pas tou·te·s à égalité dans la rue. Il y a vraiment cette idée de reprendre ce qui nous appartient aussi. »
Une réappropriation illégale qui ne met pas tout le monde d’accord : les collages sont souvent arrachés et Léa raconte avoir été agressée lors d’une session. « On était en train de coller ‘QUE FAIRE POUR QUE LES HOMMES CIS CESSENT DE VIOLER’ » se rappelle-t-elle. « Un homme est arrivé, il nous a menacé violemment, il a filmé donc on est parti·e·s et plus tard, d’autres sont venues coller ‘DE QUOI AVEZ-VOUS PEUR ?’ » D’un œil pensif, Léa observe le papier lacéré sur le mur du préau de Beauséjour et conclut : « nos collages ont forcément un impact. Puisque des gens les arrachent, ça montre bien que ça réveille des choses, des vérités qui font assez mal pour que leur vue soit insoutenable. »
Régulièrement, les lettres manquantes des slogans militants réapparaissent, taguées à la bombe de peinture. Une entraide dans la (re)conquête illégale de l’espace public, où l’art côtoie le politique, en dépit des risques encourus.